Le treize


Cette journée, Nelly a la nette sensation de l'avoir déjà vécue. Elle l'a si minutieusement préparée, dans les moindres détails, qu'il ne s'agit plus d'un jour nouveau. C'est pour elle un rituel à accomplir, sans faillir, sans faiblir.

Dans la cuisine, elle regarde la pendule noire et attend le moment où elle pointera 13 heures, ce 13 du mois de novembre. Un vendredi teinté de gris, comme la lame aiguisée de ce couteau posé sur la table, qu'elle regarde méfiante et que bientôt elle va enfoncer dans cette chair parfumée.

Des goutes de sueur froide parcourent le corps de Nelly. Chaque minute qui passe, elle la vit comme un tourment.

Frissonnante elle vérifie, pour la énième fois, un à un, les noms de la liste. Ils sont bien 13, pas d'invité surprise et Nelly ne changera surtout pas le nombre. Elle a toujours vécue entourée de ce chiffre… comme ce jour de l'accident qui a fauché la vie de ses parents… Elle s'en souvient, même si elle n'était encore qu'un tout jeune enfant. Ce nombre semble la poursuivre et c'est elle, aujourd'hui, qui s'est promis de le traquer.

Combien d'autres encore viendront la tourmenter ? Est-ce la fatalité, le hasard d'une journée qui ne tient, au fond, qu'à un mythe sans fondement. Faut-il avoir peur ou, au contraire, l'affronter ? Nelly choisi la deuxième solution, ce jour "spéciale" pour affronter ses peurs. Spéciale, car ce jour, bien plus que les autres, elle ne le revivra plus jamais.

Nelly fait maintenant les quatre cents pas dans l'appartement. Dans sa tête, se bousculent les questions; viendront-ils tous ou non ? "Si l'un deux manque à l'appel, plus jamais je n'aurai la réponse à mes interrogations !" - Pensa Nelly inquiète.

La sonnerie de la porte retentit ce qui fait sursauter Nelly, qui pour l'heure s'était mise à naviguer dans le flot de ses pensées.

Un à un les invités arrivent. Dans quelques heures, elle saura si elle a bien fait… Si cette journée se passera conforme à son souhait, telle qu'elle la voulait… Si…

Retour à la réalité... Aucun invité ne manque, ils peuvent commencer…

A cet instant, Nelly a une pensée pour ses parents adoptifs. Ils l'ont encouragée et aidé à se préparer pour cette journée. Bien qu'absents, Nelly sait qu'eux aussi sont autant impatients qu'elle. Ils ont assisté, impuissants, au cauchemar que Nelly se faisait de ce moment. Subtilement, ils l'ont soutenue dans ses heures les plus cruelles et ont, de leurs paroles toujours positives, suscité, malgré eux, dans l'esprit de Nelly la réalisation de cette extravagante journée. Réunir en une seule journée le plus grand nombre de ces démons que Nelly craint.

Nelly sort de sa torpeur, en entendant au loin tinter les 13 coups du clocher du village. Elle se précipite en direction de la cuisine, prend le grand couteau gris et commence à morceler la tendre chair blanche teintée de rouge…

Les yeux de Nelly, animés dans un mouvement perpétuel de va-et-vient, oscillent en toutes directions. Comme une balançoire abandonnée, basculée par la force du vent, dont le mouvement n'est plus guidé. Elle guette, elle attend… Rien ! Absolument rien ne semble se produire, dans cette maisonnette du 13 rue des Lilas.

Les percussions de l'horloge du village s'étant tues, ils peuvent commencer à déguster le gâteau parfumé à la fraise des bois.

Nelly sourit, elle est heureuse. Rien n'est arrivé, comme elle l'appréhendait, rien n'est venu perturber cette journée tant redoutée. Adieu superstitions. Ravie et rassurée, avec la légèreté propre de l'enfance, elle part s'amuser avec les 13 invités.

Après tout, ce n'est pas tous les jours que l'on fête ses 13 ans !!

L.R.




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