Martin a dit


"Je suis lâche, parce que j'aime la vie"

Martin est l'un de ces nouveaux déshérités de la vie, un sans abris comme tant d'autres, mais lui je le vois tous les jours. Avant de lui parler, rien ne laissait paraître que c'est un écorché. D'accord, il se noie, parfois, dans l'alcool. Sûrement pour se réchauffer l'âme et le corps.

C'est un homme élégant, cultivé, indubitablement, un legs de son prestigieux passé. Seul son visage est marqué de tant d'incertitudes présentes, de tant de clairs de lune embrassés par son regard dénudé.

Martin ne se plaint jamais. Il a pour seule compagnie son caddie où, désormais, il garde précieusement le peu qui lui reste. Autant dire rien. Mais souvent, la loi de la rue est cruelle, Martin se fait voler son caddie. Le voilà désorienté, ne sachant que faire, n'ayant pas où garder ses souvenirs du passé.

Martin ne râle pas, il sait que d'autres ont hérité de son destin, tout doucement il se dirige vers "son" magasin, il rachète un nouveau caddie. Pour combien de temps gardera-t-il son nouveau bien ? Martin ne le sait pas.

Le voilà devant moi, aujourd'hui. Il me raconte un peu sa vie. Autrefois, architecte renommé, il n'est aujourd'hui, comme il dit, un rebus de la société. Curieuse, je lui demande ce qui s'est passé dans sa vie, pourquoi il en est là aujourd'hui.

Martin répondit : "Il suffit d'un faux pas, un seul, et la vie passe à trépas".

Une larme perle sur son visage, je suis mal à l'aise de lui avoir posé cette question, mais Martin continue "Je pourrai, et j'y ai souvent songé, m'acheter un billet aller sans retour, mais je suis lâche, parce que j'aime la vie, aussi rude soit-elle." "C'est pour ça que je ne le fais pas."

Cet homme, d'environ un mètre quatre-vingt-dix, qui pleure devant moi, me fait frissonner. J'aimerais bien l'aider mais je ne sais pas comment. Il vient s'acheter quelques vêtements. Je pense alors les lui donner. Mais c'était sans compter sur la détermination de cet homme qui n'a rien perdu de son estime et sens de l'honneur.

Tandis que je pensais faire "ma BA" de la journée, Martin poursuit son récit "J'ai bien des gens qui veulent bien m'aider, mais je n'aime pas la pitié". "Je veux un petit chez moi, aussi petit soit-il, juste que je puisse m'allonger, le temps de me reposer… j'ai de l'argent, mais apparemment pas assez ! Je ne veux pas de la pitié, juste un abris." "C'est gentil, ces gens qui pensent à moi, mais pas comme ça, donner sans contrepartie, j'ai ma fierté, je veux la conserver."

A la prononciation de ces mots, je sursaute. Moi aussi je les ai prononcés, moi aussi je n'aime pas la pitié, je n'ai donc pas donné les vêtements. Comme moi, il aurait pris ce don comme un affront.

Martin a pris de quoi se changer, comme il dit, pour paraître, après avoir trouvé où faire un brin de toilette. Je prends son argent, bien sûr je n'ai pas compté le tout, ni le prix affiché, il n'a rien vu, il ne compte jamais sa monnaie.

Maintenant, chaque fois que je vois Martin, il n'est plus un inconnu comme tant d'autres. C'est Martin, l'homme qui n'a point de demeure, mais qui garde dans son cœur le bonheur et la dignité, dans une vie affligée de malheurs.

Plus jamais je n'oublierai, sa dernière phrase, qui tinte en moi comme un couplet : "J'ai perdu le fil de mes lendemains mais, si j'ai un sourire à chaque croisé des chemins, j'aurais gagné ma journée".

Martin tu n'es pas un lâche, tu es le troubadour dont la lune ne peut s'en passer même en plein jour.

L. R.
7 Septembre 2008



07/09/2008
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