Le voile de Nina


Le voile de Nina



Nina presse le pas. Il ne faut pas qu'elle se fasse prendre dehors, toute seule, à cette heure-ci. Pas maintenant, pas aujourd'hui. Elle n'a pas le droit de sortir seule, sans autorisation. Mais il faut que Nina voit son Amie Jali, qui habite seulement quelques mètres, plus loin, dans la rue. Elle doit y aller en cachette, pour ne pas risquer de dévoiler son secret.

Elles se verront demain, quelques minutes, mais elles ne pourront pas échanger des mots, juste le code que depuis des mois elles on tissé.

Nina aurait pu téléphoner à Jali, mais Nina a besoin de la voir une dernière fois, lui dire au revoir.

Nina a besoin de sentir les bras de son amie autour de son cou, encore une fois. Lui dire de vive voix, combien elle l'aime, combien elle va lui manquer, combien elle lui est reconnaissante. Elle veut la regarder dans les yeux, une dernière fois, pour ne pas l'oublier, au cas où leurs regards n'auraient plus jamais l'occasion de se croiser.

Les grands yeux de Nina, d'un vert lagon, s'emplissent de larmes, à la seule pensée de ne plus voir son amie. Son khôl coule laissant des longues traînés noires sur son visage et le regard de Nina, d'habitude si lumineux, devient terne. Nina adore Jali mais elle ne peut plus reculer et Jali n'aimerait pas ça non plus.

Jali, sa meilleure amie, la seule personne à qui Nina dira adieu, la seule à savoir son secret, la seule à l'avoir aidée. Jamais Nina n'aurait pu partir sans lui dire adieu.

Il y a foule dans la rue, mais personne ne remarque Nina, comme d'habitude, comme si elle était un fantôme que personne ne voit. Bientôt Nina ne se préoccupera plus de ça, elle sera libre, elle sera une femme et pas un spectre.

Nina arrive chez son amie, sonne, Jali vient lui ouvrir, elle est au téléphone.
- Ha c'est toi !? Bonsoir Nina.
- Bonsoir Jali. Oui c'est moi, je dois te parler, c'est important.
- J'arrive, je te demande un instant.
Et Jali s'en va plus loin continuer la conversation téléphonique. Nina trouve le comportement de Jali bizarre, comme si elle était gênée par sa présence. Jamais Jali n'a fait ça. D'habitude, quand Nina arrive, Jali prend congé de son interlocuteur aussitôt, mais pas ce soir. Nina se demande pourquoi. Nina ne le sait pas mais Jali oeuvrait pour elle. Jali revient.

- Ca y est, Nina, je suis toute à toi. Comment ça va ?
- Ca va bien, et toi ? Jali, je te trouve distante, tu m'en veux parce que je pars ?
- Bien sûr que non ! Comment peux-tu imaginer une chose pareil ?!
- Tu es malade ?
- Mais non ! Rassure-toi, je suis juste un peu fatiguée, voilà tout ! Mais assez parlé de moi. Comment tu te sens ?
- Heureuse et triste à la fois, à part ça, je me sens bien. Jali, je voulais te remercier.
- Me remercier de quoi ? Tu aurais fait la même chose pour moi.
- Oui, mais quand même. Je voulais te dire que je t'aime, que je ne t'oublierai jamais.
- Non, ne dis pas ça, Nina. Regarde-moi et rappelle-toi, à la seconde même où tes yeux se poseront sur le lac, tu m'oublieras.
- Non, Jali, ça jamais !
- Ma Nina chérie, tout au fond de mon cœur, j'espère que cela n'arrive jamais, mais je pense ne pas me tromper en te disant que tu vas m'oublier.
- Jali, s'il te plait, ne dis pas ça. D'ailleurs je voulais te demander si tu voudrais me rejoindre plus tard.
- Je te réponds tout de suite OUI, tout en sachant que cela n'arrivera pas. Je te souhaite beaucoup de chance Nina et sache que moi, je ne t'oublierai JAMAIS. Soit heureuse, ma douce Nina.
- Moi NON plus je ne t'oublierai pas, je te le jure
- Nina, n'oublie pas, demain le temps nous est compté. Dès que tu arrives, monte dans ma chambre, tu te changes et sors aussitôt.
- D'accord, Jali, je n'ai pas oublié. Les gestes, tous les gestes, je les ai répétés maintes et maintes fois dans ma tête. Pour moi ça va mais j'ai peur pour toi Jali.
- Ne t'en fais pas Nina, je saurais m'en sortir….
- Merci Jali, tu es une véritable amie.
- Nina, j'aimerais que tu restes encore un peu, tu les sais, mais il faut rentrer maintenant. Si nous restons à bavarder, nous pourrons détruire en quelques minutes, ce qui nous a pris de longs mois à construire. Surtout, Nina, demain ne parle pas ni à Doudi, ni même à moi. N'oublie pas que tu es moi.
- Jali JE T'AIME et, je ne t'oublierai pas.

Les deux amies se serrent l'une contre l'autre, leurs larmes se mélangent et leurs corps s'étreignent, si fort qu'ils ne font plus qu'un. Elles sont si proches l'une de l'autre, plus que des sœurs.

Elles ne se sont jamais quittées, depuis la maternelle, toujours ensemble, toujours unies. Leur seule séparation était au moment des vacances. A chaque départ et à chaque retour, toujours le même rituel, elles pleurent comme si l'une d'entre elles venait de disparaître.

Plus de mots, juste leurs regards qui se croisent…
Jali (Adieu ma Nina, que Dieu te garde)
Nina (A bientôt ma Jali, mon cœur s'apaisera le jour où tu me rejoindras)

Nina monte dans sa chambre, par le patio, afin de ne pas croiser ses parents. "Il faut que je me repose maintenant, demain la journée sera longue".

Nina n'arrive pourtant pas à dormir, les mots de Jali font écho dans sa tête ("…Regarde-moi et rappelle-toi, à la seconde même où tes yeux se poseront sur le lac, tu m'oublieras.") " Jali se trompe, je lui prouverais, j'en fais la promesse. C'est vrai, je suis fascinée par ce lac, mon cœur y est prisonnier, mais jamais il ne me fera oublier Jali, JAMAIS !"

C'est sa dernière nuit dans cette chambre, sa chambre. Nina laissera tout derrière elle, ses affaires, ses parents, ses frères, son amie… et sa vie. Cette vie qu'elle n'aime pas, ce pays et ses traditions qui l'étouffent, tout, elle laisse tout, pour se reconstruire ailleurs.

Ses parents vont la chercher et s'ils la trouve elle payera cher cet affront, mais Nina craint plus la vie ici que tout ce qui pourrait lui arriver ailleurs. "Pardon maman, je te garderai dans mon cœur".

Nina n'a pas dormi et c'est l'heure de partir… C'est le cœur serré qu'elle prend les quelques objets personnels qu'elle emportera. Elle veut un souvenir…

"Oh mon Dieu, où est mon compagnon de toujours ? Je ne peux pas partir sans lui ! Non, pas ça, pas maintenant. Jali a le même mais c'est le mien que j'emporterais ! Après tout il connaît tout sur moi, ma peine, ma honte et ma joie… Il a essuyé mes larmes, caché mes sourires… il m'a, tant de fois, sauvé la vie. Ah tu es la ? Tu te cachais ? Et bien non, tu ne restes pas, je t'emporte avec moi. Moi et moi seule déciderai du jour de notre séparation, pour l'instant tu restes avec moi."

Sans un bruit, Nina quitte sa chambre. La rue est déserte, tant mieux, ça l'arrange. Devant chez Jali, elle aperçoit la voiture qui la mènera à l'aéroport. Nina sent son cœur battre si violemment qu'on dirait qu'il va exploser. Dans sa tête, joie et peur se mélangent. Ce n'est pas le moment de flancher, Nina affirme son pas.

Comme convenu, Nina monte dans la chambre de Jali. Son amie, l'attend, sans un mot, elle lui tend ses vêtements, Nina se change, jette un dernier regard plein de larmes à son amie et part. Direction l'aéroport.

Le conducteur de la voiture, une connaissance de Jali, ne parle pas, tant mieux, de toute façon Nina ne pourrait pas répondre.

Nina a envie de pleurer mais, elle retient ses larmes, de peur que le conducteur s'en aperçoive et pour éviter que son khôl ne coule. Elle n'aura pas le temps de faire un brin de toilette à l'aéroport, les minutes son comptées. Tout est chronométré, afin que sa disparition n'alerte personne avant le départ de l'avion.

C'est surtout Jali qui a tout mis au point. Le billet d'avion, c'est Jali, le trajet, avec plusieurs escales pour brouiller les pistes, c'est Jali… Nina doit sa liberté à son amie, comment pourra-t-elle l'oublier ?

La dernière escale de Nina, ce sera Paris. De là elle prendra les transports en commun, plus un taxi pour rejoindre la Suisse. Elle connaît bien l'Europe, elle y passait toutes ses vacances. Genève elle ne connaît pas bien, juste le lac, où le hasard l'y a guidée une fois…. Depuis, son cœur y est prisonnier, mais seule Jali le sait.

"L'Europe ! J'y suis. A moi maintenant de ne pas commettre de faux pas." Nina prend la direction des toilettes pour se changer, s'habiller à l'européenne. Une fois changée elle se dirige vers la station de taxis … " Mon Dieu aidez mon accent ..."

- Bonjour, vous est-il possible de conduire à (...)
- Bonjour mademoiselle, pas de problème.

Nina a changé d'avis, elle ne prendra pas les transports en commun, trop risqué. Malgré le long trajet, entre 6 et 7 heures, elle préfère prendre le taxi et en changer plusieurs fois, pour plus de sécurité.

Le voyage fut éreintant mais Nina est arrivée à destination. Nina monte déposer ses affaires à l'hôtel, le NH Rex, avenue Wendt et redescend aussitôt, ne gardant avec qu'elle que son téléphone portable et son "compagnon". Elle a envie de voir, tout de suite, le lac Léman, son lac.

"Jali je vais te prouver que je ne t'oublies pas." Nina, avant de partir, s'était fait une promesse, appeler son amie, face au lac et jeter son "compagnon" dedans.

- Hello
- Jali ?! C'est Nina. Je suis en face du lac et je ne t'oublie pas…..
-Nina, comme je suis heureuse de t'entendre… mais tu m'appelles de ton portable, il ne faut pas.
- Je sais Jali, je vais le jeter après notre conversation mais je voulais te prouver que je ne t'avais pas oublié.
- Merci Nina.
- Jali je te rappellerai dès que j'aurai mon nouveau portable, à bientôt Jali !
- A bientôt Nina, fais attention à toi.
- Oui Jali, promis.
- …. (Jali a raccroché)

"Tu vois ma Jali, ce lac je l'aime, mais pas plus que toi". Maintenant, Nina peut se débarrasser de ce qui l'encombre… "Adieu mon fidèle compagnon, je te largue ici, je te bannis de ma vie. Ici, tu ne m'es de plus aucune utilité. Ici, je ne risque pas ma vie, sans toi. Toi «Le voile de la honte» !"

Nina jette son portable dans le lac et regarde, encore une fois, ce voile qui a tant de fois caché son visage "tu ne sauras plus jamais mes secrets, tu n'essuieras plus jamais mes larmes, je n'aurai plus honte d'être une femme" et elle le jeta si loin qu'elle peut.

A cet instant, Nina entend, derrière elle, une voix :

- Bonjour

Elle connaît cette voix. Son corps chancelle, elle réussi à se retourner, avec beaucoup de difficulté…

- (?)….. Bonjour

Il est là… "Comment est-ce possible ? Il n'était pas au courant !" Et les paroles de Jali lui revinrent en mémoire : (… à la seconde même où tes yeux se poseront sur le lac, tu m'oublieras...)

"C'était donc ça ? Elle a prévenu Sven ?!"

- N'aies pas peur, Nina. C'est moi, Sven, tu te souviens ?
- Oui Sven …. Je…
- Jali m'a averti la veille de ton départ.

Nina n'arrive pas à faire une phrase de plus de 3 mots. Son cœur bat la chamade.
"Oh ma Jali ! C'était donc pour ça que tu étais gênée lors de mon arrivée de la veille ? Merci Jali !
Je te ramènerai ici, même si pour ça je dois mourir"

Une dernière pensé : "Jali, dans mon ciel doré, tu es l'étoile qui manque …"

Nina est maintenant une femme qui a des rêves "dévoilés", elle n'est plus un fantôme, qui se cache, qui fuit. Nina rejoint Sven, ils partent, main dans la main, vers un futur où rêver n'est pas interdit.

L. R.



Juin 2008



06/06/2008
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