La Promesse

La Promesse


En cette fin de journée, le soleil crée sur l'eau son balai scintillant avant d'embrasser l'horizon. Il laisse ses derniers et doux rayons dorés napper le lagon, comme pour l'enlacer dans une dernière étreinte, avant l'aurore du lendemain.

Soraya aime ce spectacle. Elle vient le contempler, presque tous les jours. Plus encore que le spectacle, elle aime cet endroit. Ici elle se sent en communion avec sa Maman. Ici elle parle avec sa Maman et aux papillons. Elle leur confie ses peurs, ses joies et ses peines. Elle leur demande conseil, quand elle a d'importantes décisions à prendre.

Cet endroit est pour elle son coffre à souvenirs. De merveilleux souvenirs qui ont pour elle autant d'importance qu'il lui est indispensable de respirer pour exister. Ce coin de paradis est le refuge de Soraya, depuis que sa maman l'a quittée.

Lorsque Soraya était petite, elle venait avec papa et maman. Mais, alors que Soraya n'avait que 8 ans, sa maman l'a quittée et son départ a mit fin à ces merveilleux moments à trois. Maintenant, dès qu'elle le peut, Soraya vient seule ou avec papa. Mais ce n'est plus pareil. A présent, c'est le souvenir qui l'attire en ces lieux. Elle vient ici pour l'entretenir.

Tous les ans, à son anniversaire, Soraya a une lettre de maman. C'est ici qu'elle vient la lire. Soraya a la sensation qu'ici les mots dégagent le parfum de sa maman, dont elle s'empreigne pour rester plus proche, pour ne pas l'oublier. C'est demain, son anniversaire. Il y aura donc une nouvelle lettre et ce mystérieux cœur gravé de quatre prénoms. Le quatrième prénom intrigue Soraya, elle ne le connaît pas.

«Il faut que je parte, maintenant maman, sinon papa va s'inquiéter. Tu sais comment il est ?! A demain, Maman. Je t'embrasse.»

- Bonsoir, Papa !
- Bonsoir, Soraya. Tu as parlé aux papillons !?
- Oui, papa. Tu sais bien, dès que je peux, j'y vais !
- Et alors… ?
- Ils ont acquiescé, papa. Ne t'inquiète pas, Papa. Je ne pars pas longtemps. Tout juste un an…
- Je sais… mais tu vas me manquer!
- Papa …, il y a encore combien de lettres ?
- Une Soraya. Plus qu'une.
- Oh, j'aurai tant aimé que cela dure tout le temps…
- Je sais, ma chérie. Mais maman ne voulait pas que tu vives de souvenirs… il te faut vivre ta vie, Soraya.
- Papa…, demain tu viendras avec moi lire la lettre ?

- Non Soraya. Comme toutes les autres, tu la liras d'abord toute seule. Après, si tu le veux, on ira ensemble, comme les autres fois. Ce moment t'appartient, ma chérie. Si ta maman avait voulu que je lise les lettres avec toi, elle les aurait destinés à tous les deux, tu le sais bien. Depuis toutes ces années, j'ai gardé ces lettres pour toi, sans jamais les lire, alors qu'elles n'étaient pas fermées. Mon amour pour ta maman est plus grand que ma curiosité. Jamais je ne ferai quelque chose qui puisse trahir tout l'amour et respect que j'ai pour elle.

- Papa…, c'est qui le quatrième prénom, sur le cœur ?

- Soraya, j'en suis certain que dans cette dernière lettre maman va t'en parler. Je pense que maman a attendu le "bon moment" pour le faire, c'est tout. Elle ne faisait rien au hasard, jamais ! Mon cœur me dit que son désir était de t'en parler elle-même, je me dois de respecter sa volonté. Si elle ne t'en parle pas, soit elle n'avait plus les forces, soit il s'agit d'un oubli involontaire que je comblerai…

Les anniversaires de Soraya sont pour son papa un supplice. A chacun d'eux, il revit les mots prononcés par sa femme, lorsqu'elle lui a confié les lettres. Des mots que son esprit n'a jamais pu effacer, même après tant d'années.

"Mon chéri, je le sens, pour moi, c'est bientôt l'heure de partir. Je te confie ces lettres que tu remettras à notre petite fille, une à chaque jour de son anniversaire, jusqu'à son 20ième printemps.

Je lui parle de moi, d'où je viens, qui je suis…, tout ce dont une maman parle à sa fille de son vivant. Mais, mes forces amoindries et, peut-être mon esprit aussi, il se peut que j'oublie quelque chose, alors, je t'en prie, dès qu'elle aura lu ces lettres, si elle pose encore des questions, essaye d'y répondre pour moi.

Surtout, ne m'en veux pas de vous abandonner et de te confier mon rôle de mère. Je sais que tu y arriveras, tu es un merveilleux père. Je te remercie de ces 9 années de bonheur et te demande pardon de ne pouvoir t'accompagner plus longtemps (…)"


Ces mots lui font mal. Ils sont doux et amers à la fois. Même si son cœur saigne et qu'il aurait voulu rejoindre l'amour de sa vie, par amour pour sa fille, il doit tenir…

Soraya voit des larmes perler dans les yeux de son père.

- Papa, excuse-moi ! Je n'aurai pas dû… je suis désolée.
- Ce n'est rien ma puce, ce n'est rien… Le souvenir, parfois nous joue des tours.

Pendant tout le dîner, Soraya reste silencieuse. Elle est mal à l'aise, elle a réveillé les blessures de son père. Depuis longtemps, elle est consciente de la souffrance que cette absence inflige à son père. «Tu es le plus merveilleux des papas, je t'aime».

Le lendemain matin, Soraya se lève tôt. Elle n'a pas bien dormi, un mélange de mélancolie et de fatigue se lit sur son visage. Mais cela ne change rien à la beauté angélique de Soraya. Elle est le portrait de sa mère, même grands yeux verts, même longue chevelure… à s'y méprendre.

Avant même le petit déjeuner, Soraya se dirige le cœur palpitant vers le petit guéridon où tous les ans elle récupère le même cadeau, la lettre de sa mère. Délicatement, elle prend cette ultime lettre et tendrement elle la pose tout contre son cœur. Cette lettre est la dernière et ses yeux s'emplissent de larmes. Un sentiment de tristesse l'envahi. Plus jamais, elle n'aura ce cadeau à ses anniversaires. Plus jamais ses pas ne la conduiront au guéridon, pour y récupérer fièrement le cadeau de sa Maman…

Le petit déjeuner vite avalé, Soraya rejoint son coin de prédilection pour savourer les derniers mots de Maman. Dans son empressement, elle ne remarqua même pas que cette fois il y a 2 cœurs…

"Ma chérie, cette lettre est la dernière, non pas que je ne veuille plus t'écrire mais parce que je n'ai plus la force. Ma fille chérie, je pense que je t'ai tout expliqué, tout dit, qui je suis, d'où je viens … j'espère ne rien avoir omis. Il y a quand même une chose sur laquelle je ne t'ai pas parlé, le moment est venu…

Dans la vie, ma fille, il y a des liens sacrés. L'Amour, celui avec un grand A, celui que j'ai pour ton père et pour toi. Puis il y a l'Amitié, avec un grand A, aussi. Une amitié, une vraie, ne meurt jamais ! Ces liens sont éternels. Que l'on soit loin ou que l'on soit près, ils n'ont jamais un "point final". Il peut y avoir des virgules ou parenthèses, mais jamais un point final, tant que l'on est vivant. Car les moments vécus ne peuvent s'effacer… Jamais.

J'ai eu la chance, dans ma courte vie, de connaître et l'Amour et l'Amitié. Malheureusement, un "point final" s'émisse et je ne peux tenir ma promesse. Ma chérie, tu as dû le voir, cette fois il y a deux cœurs. Sur l'un d'eux 4 noms son gravés, comme à l'accoutumé, et sur l'autre 2 seulement."


Soraya cherche les cœurs… «Oui maman, il y en a 2!...»

"Le deuxième cœur, ma chérie, il y a mon nom et celui de mon amie. Celle que je n'ai jamais oubliée, celle à qui j'ai fait une promesse que je ne pourrai honorer (…)

Soraya, j'ai une faveur à te demander, ma fille. Ce cœur, envois-le lui pour moi. Juste pour qu'elle sache qu'elle a toujours été là, près de moi, dans mon cœur. Je veux qu'elle sache que mon cœur ne l'a jamais oubliée et, même là où je vais, qu'il ne la quittera pas.

Depuis le début de la maladie pendant la grossesse, je l'appelais sans jamais lui dire que j'étais malade. Je ne voulais pas l'inquiéter. Puis, les forces m'ont abandonné et j'ai dû choisir entre écrire à toi ou à elle.

Soraya, ma chérie, peux-tu faire ça pour moi ? Juste ça ! J'ai le cœur serré de te demander cette faveur, alors je vous ai abandonné. Mais j'aimerais tant qu'elle sache que même la mort n'aura pas fin de notre amitié ! J'ai gravé dans ces cœurs, les 3 Amours de ma vie ! (…)"


Soraya ne finit pas de lire la lettre. Elle court réveiller son père.

- Papa, papa... Réveilles-toi !
- Soraya… qu'est-ce qu'il y a ?
- Il faut que j'aille là-bas…
- Où, Soraya ? Tu vas où ?
- Je dois aller la voir… et, si elle le désire, je la ramènerai…

Soraya montre la lettre à son père. Il lit quelques lignes et,… au fond, il avait compris… bien avant de lire ces quelques lignes… il reconnaissait là le cœur de cette femme qui a partagé sa vie…

Ils finissent de lire la lettre, ensemble…

- Soraya, maman ne te demande pas de partir, juste de le lui envoyer
- Papa ! Je ne sais pas si c'est toujours la bonne adresse… et puis, je veux la voir, lui parler… je veux mieux connaître maman… son amie me parlera de leur jeunesse…

«Je ne peux pas lui dire non ! J'ai fait une promesse…»

- Je t'accompagne, alors !
- Papa ! Tu as ta conférence. Je sais me débrouiller toute seule ! Après tout, ce sera l'essai pour mon départ pour les études… Je préfère être toute seule, papa ! Tu me fais confiance ?
- Oui Soraya, je te fais confiance… mais…

«Oh ma fille c'est à moi que je ne fais pas confiance. Tu as à peine 20 ans et tu m'as déjà tant soutenu… Comment ne pas faire confiance, à toi qui m'as redonnée la mienne ? Et puis la demande ne m'est pas adressée…. Je dois respecter la volonté de ta maman…»
- D'accord, mais fais bien attention à toi.
- Merci Papa, tu es super ! Ne sois pas triste, je ne reste pas longtemps.

«Je sais bien, ma fille… mais, le Liban, ce n'est pas à coté. De te savoir là bas, ne me rassure pas. Au diable ma tristesse. Qu'est ce que ma tristesse, comparé à la fierté que ta mère ressentirai… Pour elle, je m'arracherai le cœur, si besoin est»

L'avion se prépare à atterrir. Soraya a eu tout le temps de s'imaginer cette inconnue, l'amie de sa mère.

«Je crois, maman, que je la reconnaîtrai… tu me l'as si bien décrite! Elle aura un peu de toi maman. Je le sens… J'accomplirais ta promesse… Elle saura, maman, que tu ne l'as pas oubliée.»

Devant l'adresse indiquée dans la lettre, Soraya aperçoit une femme. Elle correspond à la description de sa maman, avec quelques années en plus… elle est grande, fine et vêtue avec élégance.

- Bonjour, Madame
- Bonjour…
- Vous êtes Jali ? J'ai un message pour vous.

A ces mots, la "femme" se retourna «une seule personne m'appelle comme ça. Une seule..» Elle croit avoir des visions «Mon dieu, elle est là... c'est... non, ce n'est pas possible...»

- ... Qui êtes vous ?
- Je m'appelle Soraya, je viens vous remettre ...
- Une seule personne m'appelait Jali, une seule, et depuis longtemps je n'ai pas de ses nouvelles.
- J'en suis sûre que c'est vous, l'amie de maman que je cherche. Je suis la fille de Nina, Jali !
- Ô mon dieu ! Tu lui ressembles tellement ! Entre ma fille, entre.

Soraya entra et aussitôt reprit la conversation

- Je peux vous appeler Jali ?
- Oui mon enfant, tu peux...
- Jali je dois vous remettre ceci. Maman, l'a laissé pour vous. Elle n'a pas eu la force de vous écrire, mais elle voulait vous dire qu'elle ne vous a pas oubliée. J'ai aussi apporté avec moi les lettres que maman m'a écrites avant son long voyage. J'en suis sûre qu'elles vous appartiennent aussi un peu.... Dans ces lettres, vous comprendrez la raison de son silence envers vous. Ce ne fut pas de l'oubli, juste l'envie de vous protéger... La promesse de maman, je l'accomplirais...

Jali fini de lire les lettres. Son cœur est rempli d'émotion et son regard triste se pose sur Soraya. Elle voit en Soraya son amie… Cette amie qu'elle n'oubliera jamais et que pourtant plus jamais elle ne verra. Jali ne peut contenir ses larmes… ce sont les larmes d'adieu.

- Voulez-vous partir avec moi ?

- Non Soraya. Je ne peux pas partir, ma vie est ici. Je suis vieille maintenant. Et puis, ici, je peux mieux me souvenir de mon Amie. Nous avons vécu ensemble 20 ans, dans ce lieu. Ici je parcours les mêmes chemins, ici je sens encore son odeur, ici on s'est fait une promesse, c'est ici que je suis le plus près d'elle.

Jali prend Soraya dans ses bras et, tout en la remerciant, l'embrasse. Les larmes coulent tout au long de ses joues, comme il y a 20 ans. Dans ses mains, le cœur que Soraya lui a remis. Elle le serre si fort que ses mains sont prêtes à saigner...

«Merci mon Amie. Merci de ne pas m'avoir oubliée. Soraya sera pour moi la continuité de toi. Adieu ma Nina.»

L.R.



16/06/2008
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